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L’Accord National Interprofessionnel de jan 2013

dimanche 24 mars 2013, par Jean-Marc Legoux

UN MAUVAIS ANI

Vous l’avez entendu partout : l’Accord national interprofessionnel (ANI) signé par le MEDEF et trois syndicats en janvier 2013 est « souple mais protecteur ». Il serait « équilibré », comprendre : bon pour tout le monde, patrons et salariés. François Hollande a salué l’ANI comme « un succès du dialogue social »

En réalité, les « nouveaux droits » qui figurent dans l’accord sont de portée très limitée, tandis que des revendications patronales de grande portée sont satisfaites. Le diable est dans les détails de ce texte qui compte 27 articles et des annexes.

D’abord, la feuille de route du sommet social qui a repris en septembre 2012, définissait 3 axes :

  • la lutte contre la précarité,
  • le contrôle des licenciements boursiers,
  • permettre aux salariés menacés de chômage de reprendre leur entreprise.

Rien de cela dans l’ANI !

Au contraire, s’il est transcrit dans la loi, il entraînera une nouvelle régression de notre droit du travail. Ce code du travail qui est la contrepartie de la subordination du travailleur. Il est bon de rappeler qu’il n’y a pas de citoyenneté, ni de démocratie dans l’entreprise mais que le contrat de travail est un lien de subordination du salarié à son patron.

Quels « nouveaux droits » ?

  • La fameuse majoration de cotisation des CDD courts (1 à 3 mois) ? Elle est limitée et peut être contournée.
  • Les droits rechargeables pour les chômeurs ? La discussion concrète se fera avec la renégociation de la convention UNEDIC sans « aggraver le déséquilibre financier du régime d’assurance chômage ». Traduction : ce qui sera donné à certains chômeurs sera enlevé à d’autres.
  • Le temps partiel où l’intention louable affichée est de faire disparaître les tout petits temps partiels ? Un plancher est fixé à 24 heures, mais là encore le nombre important de dérogations fait de ce plancher une véritable passoire. Les heures complémentaires seront majorées de 10 %, ce qui est moins bien qu’aujourd’hui ou lorsque les heures complémentaires représentent plus de 10% du temps partiel elles sont majorées de 25 %.
  • La complémentaire-santé obligatoire pour tous les salariés ? Elle sera financée à 50% par les salariés et à 50% par les patrons. Mais le panier de soins est réduit, par rapport à la CMU complémentaire existante et ces complémentaires-santé ne compenseront pas tout ce que la Sécurité sociale ne rembourse plus. Ce sont les grandes sociétés d’assurance privées qui se frottent les mains : l’ANI prévoit comme date butoir de la mise en place de ces complémentaires l’année 2016 parce qu’en 2016 s’appliquera une directive européenne autorisant les organismes d’assurances privés à percevoir les cotisations sociales. Les URSSAF n’auront plus le monopole du prélèvement des cotisations sociales. Un pas vers la destruction lente mais sûre de la Sécurité sociale !

Mais alors il n’y a rien à sauver dans l’ANI ?

Peut-être le rôle délibératif des salariés dans les Conseils d’administration ou de surveillance des entreprises ?

Il faut savoir que ce droit se limite aux grandes entreprises ayant plus de 5000 salariés en France, ce qui n’en fait pas beaucoup (229 exactement). Ces représentants des salariés ne pourront pas avoir d’autre mandat dans l’entreprise et seront minoritaires.

Le patronat, lui, peut se féliciter de l’accord ; il gagne une plus grande flexibilité et une plus grande sécurité juridique.

  • Tout d’abord, la conclusion d’ « accords compétitivité-emploi » souhaités par Sarkozy qualifiés d’ »accords de maintien dans l’emploi » est rendue possible. Si un accord d’entreprise signé par un ou plusieurs syndicats représentant 50% des salariés prévoit une baisse de salaire et/ou une augmentation du temps de travail, le salarié ne pourra refuser cette modification de son contrat, sous peine d’être licencié. Licenciement pour lequel il ne bénéficiera d’aucune des obligations légales et conventionnelles attachées au licenciement pour motif économique. En contrepartie, l’entreprise s’engagera à « maintenir les salariés dans l’emploi » pour une durée au moins égale à celle de l’accord, qui ne peut excéder 2 ans. Il y a inversion de la hiérarchie des normes : jusqu’à maintenant la loi tendait à assurer notamment à travers le principe de FAVEUR que le dialogue social renforce les garanties prévues par les niveaux supérieurs (accords de branche, Code du travail) et ne les diminue pas. Les défenseurs de ce type d’accords considèrent que syndicats et patrons sont sur un pied d’égalité dans la négociation. C’est oublier que le rapport salarial est d’abord un rapport de dépendance et de subordination.

La plupart des cas récents de compétitivité signés ont été catastrophiques pour les salariés. Par exemple, en 2007, la direction de Continental a exigé des salariés de Clairoix (Oise) une baisse de 8 % de la masse salariale. Leur temps de travail est passé de 35 h à 40 h, payées 37 h30 , avec la promesse du groupe allemand de maintenir le site . Finalement il prit la décision de le fermer 2 ans plus tard !

  • La modification unilatérale du contrat de travail autorisée. La mobilité interne contraindra le salarié à changer de poste ou d’établissement au sein de son entreprise, sans possibilité de la refuser
  • Le « grand licenciement » économique facilité. Jusqu’à récemment la procédure de licenciement économique de plus de 10 salariés, dans des entreprises de plus de 50 salariés était fixée par la loi. Le Plan de sauvegarde de l’emploi établi par l’employeur devait être présenté au CE en respectant un ensemble de règles . L’ANI affaiblit ce cadre légal en permettant qu’un accord collectif détermine « les procédures applicables à un licenciement collectif ». Il s’agit pour le patronat de licencier plus vite et en toute sécurité juridique.

Cet accord ne fera pas reculer la précarité, ni le chômage, ne créera pas d’emplois, mais fera régresser un peu plus les droits des salariés, à commencer par les plus précaires, les femmes en particulier. Femmes qui sont les grandes oubliées de cet accord qui ne comporte aucune mesure pour réduire les inégalités professionnelles entre elles et les hommes.

Le Président de la République a demandé au gouvernement de préparer un projet de loi pour transcrire fidèlement le contenu de l’ANI. Le Parlement devrait voter le texte fin avril- début mai.

La majorité de gauche n’a pas été élue pour mener une politique d’inspiration aussi nettement libérale.

Pourquoi le Parlement voterait-il un accord minoritaire, signé par trois syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC) et rejeté par les syndicats majoritaires CGT et FO ?

Enfin, faut-il accepter qu’un accord, prime sur la Loi ?

Sommes-nous d’accord pour qu’on ne légifère que s’il y a un accord social préalable. Une telle évolution a des relents de corporatisme. Le contrat, dans notre République est subordonné à la Loi et non l’inverse. Voulons-nous changer de république ?

Une question au cœur de la réforme constitutionnelle du quinquennat du Président Hollande sur laquelle nous ne manquerons pas de revenir.

J. Meignan

*Le Parlement doit transcrire l’ANI dans une loi, le vote devrait se faire fin avril-début mai.

Sources :

Fondation Copernic : « Un accord donnant-perdant pour les salariés, l’ANI décrypté »

Deux conférences de Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, membre du Conseil scientifique d’Attac, à Montauban et à Argeles.